Extraits de la préface de
Jean-Paul DELFINO (écrivain)
« La Tamanoir est un premier roman solide, maîtrisé, brillant. Ce texte est un torrent qui vous emporte, parfois tumultueux, parfois bercé de calme. Montant des rives, l’on peut reconnaître quelques notes de Voltaire, de Garcia Marquez, de Tristram Shandy, des harmonies de José Saramago pour le ton de la fable, et l’influence de Mario Vargas Llosa pour l’intrication foisonnante des récits. Le lecteur, immédiatement happé par ces lignes baroques, ne sort pas indemne de cette aventure. Et c’est bien ce que l’on peut, ce que l’on doit demander en priorité à la littérature. De l’émotion, avant toute chose. »
« De la tragi-comédie à l’italienne, du réalisme magique né quelque part au sud de l’équateur, une fable picaresque à la Günter Grass. »
« David A. Lombard, dans de grands éclats de rire, tire à boulets rouges sur les absurdités de notre monde. »
Synopsis de La Tamanoir
Peu après son élection, le président Alessandro Contente, leader d’extrême droite, outrancier et manipulateur, reçoit comme porte-bonheur une tamanoir albinos. Ils cohabitent en parfaite symbiose : Contente est frileux et craint les insectes, tandis que le placide animal n’aspire qu’à rafraichir son pelage et à gober des fourmis.
Pour parfaire le bonheur de Contente, de superbes maîtresses se succèdent tous les soirs dans le bureau présidentiel et la première dame du pays est populaire. Certes, chaque jour apporte son lot de crises : partout dans la jeune Fédération Démocratique d’Amazonie, la forêt brûle et des barrages s’effondrent, mais son gouvernement surmonte efficacement ces menus embarras.
Par la grâce du décloisonnement du monde, des évènements éloignés dans le temps et dans l’espace finiront par conduire la Tamanoir à s’emparer du pouvoir.
Cette fable satirique illustre avec une savoureuse ironie l’importance de la mémoire collective comme rempart contre les dérives populistes et la faillite de la démocratie.
Six extraits du roman La Tamanoir
Extrait 1 (acte I, chapitre 1)
Dans le Palais Organique d’Alessandro Contente, premier président de la jeune Fédération Démocratique d’Amazonie, la chaleur moite de ce début d’après-midi accablait la Tamanoir blanche.
Fidèle à son habitude en pareil cas, la bête se glissa sous la table de travail et s’allongea. Comme elle s’y attendait, le président se déchaussa, retira distraitement ses chaussettes et, presque sans y penser, posa ses pieds glacés sur l’animal. Leurs téguments s’unissaient, leur rituel s’accomplissait. À aucun moment le président ne montrait le moindre signe d’empressement, ce que l’animal appréciait tout particulièrement dans ces moments de calme symbiose avec son maître.
Extrait 2 (acte I, chapitre 1)
Le visage sévère, le président se pencha sur l’écran du téléphone, qui dénonçait l’identité du perturbateur : Augusto, son directeur de cabinet. Afin de ne pas perdre le fil de son activité manuelle, le président enclencha le mode haut-parleur.
— Monsieur le Président, je suis désolé de vous déranger, mais quelque chose de grave est en train de se passer. Notre armée dénombre quinze départs de feu dans le nord-est du territoire.
— Que voulez-vous que je vous dise ? Envoyez l’armée !
— Comme je viens de le suggérer, monsieur le Président, l’armée est déjà sur place.
— Combien de bombardiers d’eau avons-nous en état de fonctionnement ?
— Trente, monsieur le Président.
— Cela fait deux par incendie, c’est habituellement suffisant.
— Monsieur le Président calcule vite, mais cela n’est pas suffisant, monsieur le Président.
— Alors envoyez de l’eau… par bateau.
— La plupart des incendies sont éloignés des réseaux fluviaux, au cœur de la forêt.
— Alors que suggérez-vous Augusto ?
— Les deux Unions Atlantiques proposent de nous envoyer du renfort aérien et financier.
— Acceptez les deux, Augusto, il ne faut jamais refuser de l’argent.
— Monsieur le Président sait faire preuve de sagesse, même quand l’orage gronde.
— Justement, cela aurait arrangé nos affaires.
— Pardon, monsieur le Président ?
Extrait 3 (acte I, chapitre 7)
Hamilton, le premier d’entre eux prit la parole. Il était jeune, grand et très élégant. Sur les plans de la clarté et de l’aisance, son double cursus d’ingénieur et de haute école d’administration, lui conférait une supériorité indéniable sur les autres membres de la réunion.
— Monsieur le Président, un méga-incendie s’est déclaré cette nuit dans le nord-est du pays. La surface brûlée est de 50 000 kilomètres carrés selon l’ONG SOS Forêt et 20 000 kilomètres carrés selon nos propres observateurs.
— Un de plus ou de moins, monsieur le Premier ministre… marmonna le président en détournant ostensiblement les yeux vers les larges fenêtres ouvrant sur la jungle, comme pour témoigner de la rémanence invincible de la nature.
Alessandro Contente songea que ce maudit Premier ministre refusait obstinément d’avoir un tamanoir ce qui signifiait que des fourmis étaient peut-être en train de déambuler en colonnes trémulantes et avides dans les interstices des précieuses boiseries. À sa suite, les autres ministres, tout aussi réfractaires au bon sens, disposaient de bureaux également infréquentables, puisque dépourvus de fourmilier. Et qui paie tout ça ? Hein, qui ?
— Pardon, monsieur le Président ? s’enquit le Premier ministre.
— Rien Hamilton, je pensais tout haut… Poursuivez ! grogna le président, se demandant à quel moment sa pensée s’était mise à flotter à la surface de ses lèvres.
— Monsieur le Président a raison de souligner que le contribuable fédéral est las de payer les malversations de quelques illuminés. Nos 250 millions d’habitants se nourrissent aux quatre mamelles de notre forêt (agriculture, minerai, gaz et pétrole). Nous ne pouvons amputer ses glandes bienfaitrices au nom d’un petit million de primitifs fanatisés. Selon nos informateurs, les immolations répétées de ces opposants ayant été sagement ignorées par vos prédécesseurs, ainsi que par vous-même, des mouvements nouveaux sont détectés chez nos contradicteurs les plus radicaux.
— Lesquels ? demanda le président à contrecœur, car il avait pour principe de ne jamais paraître en retard sur l’information. Il sut toutefois y mettre le dédain nécessaire.
— Désormais, il semblerait que, dans les marais pétrolifères, des villages entiers s’immolent et propagent ainsi des incendies sans précédent.
— Vous voulez dire que les sauvages brûlent leur propre territoire ? C’est de la folie !
— Non seulement cela, monsieur le Président, mais accomplissant ces crimes envers la nature, les pères s’enferment dans leurs huttes avec femmes et enfants.
— Les barbares !
— Les ONG y voient la preuve de leur désespoir.
Le président se leva brusquement, envoyant son fauteuil valser loin derrière lui :
— On ne peut tout de même pas gouverner le pays sous le dictat d’une poignée de scélérats infanticides et aveuglés de haines ! rugit-il en frappant du poing sur la table.
Extrait 4 (acte II, chapitre 8)
— Voici les derniers chiffres, monsieur le ministre, intervint un conseiller en réponse au regard interrogateur d’Hamilton : depuis huit heures ce matin, 100 000 manifestants bloquent les trois avenues qui convergent vers le Palais Organique. Selon nos estimations, les manifestants comprennent environ 200 indigènes et 1000 membres d’ONG. Les militants et les sympathisants constituent le gros des troupes. Les journalistes de la presse nationale et internationale sont sur place et dénigrent notre action dans la majorité des communiqués que nous avons recensés sur Internet. L’opinion publique soutient leurs doléances à 72 %.
— Le président doit se prononcer sur leurs revendications, conclut Hamilton.
— Que veulent-ils encore ? rugit Alessandro Contente, qui venait d’entrer.
— Un groupe d’extrémistes indigènes prétend que les terres de leurs tribus sont menacées par les incendies, la prospection minière et l’expansion agricole. Des militants et des ONG aux prétendues vocations humanitaires et écologiques profitent de l’aubaine pour faire entendre leurs théories mensongères. Des sympathisants non politisés se sont joints au noyau radical de départ. La majorité des médias sont de leur côté.
— Saletés d’opportunistes ! Ordures de marxistes ! Tous les prétextes sont bons pour me critiquer au nom de leur soi-disant morale de gauche ! hurla Contente, son poing s’écrasant sur la table avec ce petit bruit de craquement sec que nous avons déjà entendu dans cette salle de réunion dépourvue de tamanoir.
À la vue des fourmis écrasées, le président perdit contenance.
— Est-ce qu’il faut que je fasse le ménage moi-même dans votre bureau, Hamilton ? Qu’on m’apporte ma Tamanoir ! Appelez Alberto ! Ce sont les deux seuls êtres sur qui je peux compter.
Extrait 5 (acte II, chapitre 11)
La table ne portait plus aucune trace d’insecte. Seules quelques giclées de salive demeuraient entre la manche de Prudêncio Hamilton et la tasse de café du ministre de l’Intérieur. Sur un signe du Premier ministre, deux serviteurs accoururent avec des éponges. Le chef du gouvernement s’absenta sept minutes et vingt-trois secondes avec l’intention initiale de changer de veste, mais après réflexion, il changea également sa cravate et sa chemise, puis tout le costume. Ces sept minutes et vingt-trois secondes d’absence sauvèrent sa carrière. Toutefois, Hamilton ne marquerait jamais de reconnaissance officielle à la Tamanoir pour les avoir suscitées. Pas la moindre ligne là-dessus dans Trois ans au purgatoire.
Extrait 6 (acte II, chapitre 17)
— Ainsi donc, monsieur Tuluké, vous pensez que mon épouse n’a pas d’amant ?
— Non, monsieur le Président.
— Pas le moindre compte caché à l’étranger ? Pas la moindre note de frais officielle détournée à but privé ?
— Non, monsieur le Président.
— Rien ? Vraiment rien du tout ?
Cette fois, sans cesser de flatter le dos de la Tamanoir, le détective fit « Non, monsieur le Président » d’un simple mouvement de la tête (pas seulement « Non »), ce qui avait certainement nécessité plusieurs séances d’entraînement devant un miroir.
— Vous savez pourtant, monsieur Tuluké, qu’un divorce en cours de mandat peut me coûter cher, aussi bien financièrement qu’en ma-tière électorale.
— Oui, monsieur le Président.
— Vous savez aussi que si ma femme révèle que plusieurs maîtresses sont entrées dans ce bureau depuis mon élection, la part la plus conservatrice, en particulier évangéliste, de mon électorat, est perdue ?
— Oui, monsieur le Président.
— Vous savez aussi que je vous paie pour trouver quelque chose ?
— Oui, monsieur le Président.
— Et pourtant vous ne trouvez rien ? s’impatienta le chef de l’État.
— Non, monsieur le Président.
— Alors pourquoi je vous paie ? tonna le grand homme, se dressant soudain derrière son bureau.